Introduction
Le 3 avril dernier, l’ONSS, dans un louable souci d’information, a fait parvenir aux entreprises une note concernant la mise en ligne du Federal Learning Account (FLA).
Ce nouvel outil s’inscrit dans une réforme du droit à la formation des travailleurs. Celle-ci a apporté des changements importants dans le paysage professionnel. Découvrons ensemble comment ces nouvelles mesures favorisent le développement des compétences et l’évolution des carrières.
Notez que les précisions qui suivent ne concernent pas les fonctionnaires détachés durant leur temps de travail sous l’autorité hiérarchique du Forem (ou de toute autre administration).
Base juridique
La loi du 3 octobre 2022 portant des dispositions diverses relatives au travail prévoit que chaque travailleur employé à temps plein a un droit individuel à la formation.
Ce droit s’élève à 5 jours à partir de 2024.
La loi vise aussi bien les formations formelles que les formations informelles (celles en relation directe avec le travail). La formation peut également concerner les matières relatives au bien-être telles que visées par loi du 4 août 1996 relative au bien — être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail.
Au niveau sectoriel, des règles différentes peuvent être appliquées par convention collective. Cependant, ces règles ne peuvent déroger aux minima légaux.
Par ailleurs, elle prévoit l’obligation de rédiger un plan de formation pour toutes entreprises relevant de la loi du 5 décembre 1968 qui occupent au moins 20 travailleurs.
Application sectorielle ou au sein de l’entreprise
L’objectif visant à atteindre 5 jours de formation peut être concrétisé par une convention collective de travail sectorielle rendue obligatoire, et à défaut par un compte formation individuel dans l’entreprise (voir infra).
Il n’y a, à l’heure où j’écris ces lignes aucune convention sectorielle applicable en l’état à nos commissions paritaires.
Notons cependant qu’une convention sectorielle peut modifier la limite des cinq jours.
Cette limite ne pourra pas être inférieure à 2 jours et elle ne pourra réduire le nombre de jours déjà octroyés soit dans une convention précédente, soit au niveau de l’entreprise.
Je rappelle à ce propos que la CP 322.01 prévoit déjà un minima de 16 heures de formation/ETP/an.
La Région wallonne impose un minimum de 9 heures de formations/an/ETP qui ne se substitue pas aux conventions sectorielles, mais fournit à l’administration wallonne une base pour un contrôle effectif.
Cependant, ces conventions ne s’appliquent pas dans le cadre de la loi ici détaillée, mais les obligations qui en découlent intègrent les dispositions décrétales.
Concrètement, les 9 heures/an/ETP peuvent être incluse au compte individuel et au plan de formation… mais elles sont insuffisantes aux yeux du droit individuel.
Compte formation individuel
Le compte formation individuel est concrétisé depuis le 1er avril 2024 par le FLA qui doit être complété avant le 1er décembre 2024.
L’application en elle-même est développée par Sigedis
Il incombe à l’employeur :
- d’enregistrer, pour chaque trimestre civil et au plus tard dans le délai prévu pour la DMFA, les données du travailleur qui ne seraient pas encore connues ;
- d’adapter le droit à la formation qui serait calculé par Sigedis dans un délai de 30 jours ouvrables après la notification de ce calcul ;
- d’enregistrer chaque trimestre civil et au plus tard dans le délai prévu pour la DMFA, la formation suivie dans le trimestre par le travailleur ;
- d’inscrire le nombre de jours ou d’heures imputés, le cas échéant, sur le droit à la formation ;
- de vérifier immédiatement (et d’adapter si nécessaire) la valeur ouverte actuelle du crédit formation qui serait calculée par Sigedis.
Par ailleurs, les employeurs qui ne rempliraient pas leurs obligations seront dénoncés aux services d’inspections sociales.
Concrètement
La concrétisation du droit individuel au niveau de l’entreprise se fait par l’octroi de jours de formation (5 jours/ETP/an).
Le temps que le travailleur consacre à sa formation est à charge de l’employeur que ce temps soit organisé pendant le temps de travail ou en-dehors de celui-ci. Dans ce dernier cas cependant, l’administration considère qu’il s’agit d’un temps de travail ordinaire qui ne donne pas droit à un sursalaire ou un repos compensatoire.
Si le travailleur est occupé à temps partiel (ou que son temps de travail varie durant l’année) :
A x B x C = nbre de jours de formation
A = nbre de jours de formation pour un temps plein
B = régime de travail par rapport à un temps plein
C = nombre de mois divisé par 12 a été occupé au sein de l’entreprise (1 mois entamé = 1 mois presté)
Le travailleur aura accès au FLA par voie électronique (Ebox et www.mycareer.be).
Si le travailleur n’a pas renseigné d’adresse courriel auprès des institutions publiques, c’est l’employeur qui devra communiquer au moins une fois par an les informations suivantes :
- Existence du FLA ;
- Données traitées, finalités, etc. ;
- Durée de conservation ;
- Au statut du crédit formation.
Transfert du solde et remise à zéro du compte de formation
Le solde des jours de formation non épuisé à la fin de l’année est transféré à l’année suivante et s’ajoute au crédit de formation de celle-ci.
Au bout d’une période de 5 ans fixée par le gouvernement, soit, actuellement, du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2028, le compte est remis à zéro, mais le travailleur à temps plein doit avoir bénéficié d’au moins 5 jours de formation en moyenne par an.
L’article 57, § 2, de la loi sur les contrats de travail, est libellé comme suit : “Le but est qu’à la fin de chaque période de cinq ans qui peut démarrer au plus tôt le 1er janvier 2024, ou à la fin du contrat de travail si celle-ci intervient avant la fin de la période précitée de cinq ans, le travailleur employé à temps plein a bénéficié d’au moins 5 jours de formation en moyenne par an. A la fin de la période précitée de cinq ans, le solde du crédit formation disponible est remis à zéro.”
Le droit à la formation est perdu en cas de licenciement pour faute grave auprès de l’employeur. Concrètement, un travailleur ne pourra pas s’abriter derrière les jours de formations restant pour prolonger son contrat ou bénéficier du paiement de jours supplémentaires.
Dérogation
La loi ne s’applique pas aux entreprises de moins de 10 travailleurs.
En outre, un régime dérogatoire est prévu pour les entreprises qui occupent entre 10 et 20 travailleurs exprimés en équivalent temps plein.
Dans ce cas, le travailleur bénéficie d’un jour de formation par an et équivalent temps plein.
Les autres règles énoncées ci-dessus s’appliquent mutatis mutandis.
Plan de formation
Un plan de formation d’une durée minimum d’un an doit être établi par l’employeur moyennant le respect d’une procédure de concertation.
La concertation a lieu soit au sein du Conseil d’entreprise ou, à défaut, avec la délégation syndicale pour le 31 mars au plus tard.
S’il n’y a pas de délégation syndicale, le projet doit être soumis aux travailleurs pour le 15 mars et déterminé pour le 31 mars au plus tard.
Contenu
Le plan de formation doit au moins contenir :
- Des formations formelles, c’est-à-dire,
- Des cours ou des stages conçus par des formateurs ou des orateurs ;
- Caractérisés par un haut degré d’organisation du formateur ou de l’institut de formation ;
- Se dérouler dans un lieu nettement séparé du lieu de travail ;
- S’adresser à un groupe d’apprenant ;
- Et conçue et géré par l’entreprise elle-même ou par un organisme extérieur à l’entreprise ;
- Des formations informelles, c’est-à-dire,
- Consistent en des activités de formation qui sont en relation directe avec le travail (ou le lieu de travail), mais autres que celles visées ci-dessus ;
- Caractérisées par un haut degré d’auto-organisation par l’apprenant individuel ou le groupe d’apprenant (horaire, lieu, contenu) ;
- Et dont le contenu est déterminé en fonction des besoins individuels, sur le lieu de travail, de l’apprenant.
- Une explication sur la manière dont le plan contribue à l’investissement dans la formation.
L’employeur doit en outre prendre en compte la dimension de genre et être attentif :
- Aux personnes issues de groupes à risque, en particulier les travailleurs âgés (plus de 50 ans) ;
- Aux travailleurs en situation de handicap ;
- Aux personnes d’origines étrangères ;
- Aux métiers en pénurie dans son secteur ;
- A la méthode d’évaluation des travailleurs.
Formations qui n’entrent pas en ligne de compte.
Certains dispositifs de formations existants ne viennent pas en déduction du droit individuel à la formation :
- Les congés éducations-payés ;
- La formation des délégués syndicaux.
Sanctions
Le droit individuel à la formation est un droit pour le travailleur et non une obligation.
Cependant, « la formation, que l’employeur propose au travailleur, peut également être placée dans ce cadre général des obligations d’exécution du contrat de travail.
Si le travailleur ne remplit pas ses obligations, des mesures disciplinaires peuvent être appliquées par l’employeur. Ces sanctions et les manquements qu’elles sanctionnent doivent figurer dans le règlement de travail. »
D’autre part, la jurisprudence tend à analyser avec suspicion le renoncement formel à un droit à partir du moment où l’employeur exerce un lien hiérarchique sur le travailleur. Il est donc déconseillé de prévoir ce genre de clause entre l’employeur et le travailleur.
D’autre part, l’employeur sera toujours tenu de rappeler l’existence de ce droit au travailleur.
La loi ne prévoit pas de sanction pour l’employeur, mais « dans le cadre général, de l’exécution du contrat de travail [il] a l’obligation d’offrir gratuitement une formation au travailleur lorsque celle-ci est nécessaire à l’exécution du travail pour lequel il a été engagé et qu’elle doit être offerte par l’employeur en application d’une réglementation légale ou d’une convention collective de travail.
En outre, si l’employeur ne respecte pas les dispositions relatives à la formation contenues dans une convention collective de travail universellement contraignante, il est passible d’une sanction pour non-respect de ces dispositions en application du CPS (code pénal social). »
D’autre part, le FLA permet dorénavant une vue complète des formations suivies par la majorité des salariés et le non-respect de ses obligations est susceptible d’aboutir à un contrôle des services compétents.
Contestation
Les organisations patronales ont fait savoir le 5 mars 2024 leur mécontentement par rapport au FLA.
Elles reprochent à la réforme son manque de concertation, l’absence de période de test, l’augmentation de la charge administrative et le maintien d’éventuel doublon dans la législation (voir ici).
Au-delà de ce débat, la PAW s’inquiète surtout du coût que cette disposition va entrainer pour les sections titres-services.
En effet, le système a été conçu sur base d’un financement à l’heure de travail prestée chez un bénéficiaire du subside (le consommateur puisqu’il s’agit d’un subside à la consommation) et non du temps de travail global.
À l’exception des entreprises d’insertion, qui bénéficient d’un double subventionnement, les autres acteurs du secteur voient donc leurs possibilités de recettes diminuées à proportion de ce droit.
A minima, en Région wallonne, cela équivaut à un manque à gagner de 1 116 €/ETP/an (ou, pour une entreprise de 40 ETP = 45 000 €/an).
Nous disons bien a minima, car il faut ajouter à cette perte de recette le coût des dites formations que les employeurs devront assumer et, bien entendu, les charges salariales qui resteront dues.
Les montants octroyés par les fonds de formation ne compenseront pas ces sommes.
D’autre part, à la différence du secteur commercial, les acteurs de l’associatif ne peuvent, en l’état de la législation, bénéficier des chèques formations.
Sans réactions des pouvoirs publics, les difficultés que nous rencontrons déjà vont donc encore croitre et, vraisemblablement, entrainer sa disparition d’un secteur où nus faisons figure (ALE comme ASBL) d’employeurs respectueux.
Par ailleurs, il serait bon que le service juridique du Forem clarifie la situation des prestataires ALE eux aussi signataires d’un contrat de travail.
On rappellera d’ailleurs ce passage du vade-mecum ALE :
« Obligations de l’employeur [ici l’ALE]
- Mettre au travail le prestataire ALE dans les conditions, au temps et au lieu convenus et, s’il échet, de veiller à ce que les instruments et matières nécessaires soient mis à la disposition du travailleur par l’utilisateur. Autrement dit, cette obligation est transférée à l’utilisateur, même si rien n’interdit à l’ALE d’y pourvoir elle-même ;
- Veiller à ce que la rémunération soit payée aux conditions et au temps convenus. En cas de non-paiement de la rémunération, le travailleur doit avertir immédiatement l’ALE. En effet, dans ce cas, c’est l’ALE qui devra remettre les chèques ALE au travailleur pour ensuite se retourner contre l’utilisateur défaillant ;
- Veiller, le cas échéant, à une formation adaptée. »
Conclusion
La PAW a anticipé la réforme en développant un service Formations à l’intention de ses membres.
Nous vous en avons souvent parlé ces derniers mois et les premières formations agrées à l’attention des aides-ménagèr.es sont à retrouver ici.
Pour rappel, nous avons également obtenu un subside qui va permettre aux ALE wallonnes membres d’offrir aux demandeurs d’emploi remplissant les conditions pour prester en ALE de suivre une formation complète et accessible sur les outils numériques.
Nous travaillons déjà sur une formation visant à aider à la prévention des burn-out et à la réduction du stress tant à destination des employé.es que des ouvrier.ères .
J’en profite pour signaler que nous ne bénéficions d’aucun subside public générique. Nous dépendons intégralement de vos cotisations pour vous épauler et vous offrir les moyens de faire face aux défis qui se posent à nos ASBL.
Jean-Michel Lovinfosse