Introduction
En septembre 2021, j’avais intitulé l’une de mes analyses : les titres-services dans l’œil du cyclone (voir ici).
La conclusion mettait en garde contre l’apparente bonne santé des entreprises du secteur qui bénéficiaient à l’époque d’importantes mesures d’aides pour compenser les effets de la crise sanitaire.
L’année passée, je m’étais livré à une analyse financière des entreprises activent en Wallonie (voir ici).
Les conclusions pessimistes que je tirais à l’époque restent d’actualités.
La situation a même tendance à se dégrader très rapidement.
La présente analyse porte sur les chiffres de l’année 2022 et se veut moins détaillée que la précédente, les remarques d’ordre général qui avaient été faites demeurant pertinentes.
Par ailleurs, la Région wallonne a fait le choix de consacrer l’essentiel de cette mandature à l’élaboration d’une étude orientée sur le bien-être des travailleurs — entendez les aides-ménager.ères — et de laisser de côté l’aspect financier.
Le résultat fut la présentation d’un rapport réalisé sur trois ans à la fin du premier semestre 2023.
Nous vous en avons parlé ici.
Ce choix est cependant surprenant si l’on veut bien se souvenir que cette problématique avait déjà fait l’objet d’une étude menée à l’initiative du fond de formation (en 2018) et d’une autre, très complète, du Cirtes (Centre interdisciplinaire de recherche Travail, État et Société), une émanation de l’UCL, en 2016.
Accessoirement, les auteurs.trices du rapport Idéa de 2023 s’avèrent avoir signé divers articles au sein de la revue précitée et dont le titre général était : Quelle qualité d’emploi dans les services d’aide ménagère ? Une approche multidisciplinaire (à retrouver ici).
Bref, l’état économique des différentes entreprises du secteur, et donc des ALE, échappe dorénavant au législateur wallon qui doit se rabattre sur ce que veulent bien en dire les différents groupes de pression actifs au sein de la commission d’agrément.
C’est bien dommage.
Méthodologie.
Malgré le caractère normalisé des publications de comptes annuels auprès de la BNB différentes interprétations (ou législation) du plan comptable entrainent des différences d’imputations.
Ainsi, les ALE, et plus généralement le secteur associatif, recourent majoritairement à la notion de fond propre là où le secteur commercial, en ce compris les EI, évoqueront un capital.
De la même manière la notion de chiffre d’affaires peut être différemment appréciée selon les comptables compte-tenu de l’importance des subventions dans les recettes des structures.
Rappelons d’ailleurs que cette dernière notion peut absorber les recettes générées par d’autres activités. Typiquement, les ALE génèrent des recettes à travers les activités propres à la mesure ALE qui, le plus souvent, s’additionnent au chiffre d’affaires global. Or, la législation interdit aux ALE d’utiliser ces rentrées pour, p. ex., couvrir des dépenses liées à l’activité titre-service (une contrainte unique dans le secteur à ma connaissance).
Régulièrement, la notion est confondue avec la catégorie marge brute d’exploitation, j’ai cependant préféré les montants spécifiquement renseignés comme CA lorsqu’ils étaient disponibles.
De la même manière, le calcul du résultat, positif ou négatif, diffère sensiblement selon que l’on choisit de comparer les résultats d’exploitation, d’exercice et après impôt.
C’est ici le bénéfice d’exploitation qui a été retenu, car il permet d’apprécier la performance de l’activité de l’entreprise.
En matière de trésorerie, ce sont bien les valeurs disponibles qui ont été retenues sans y intégrer les créances et les comptes de régularisation. À noter que la valeur des comptes de régularisation est étonnamment importante dans les cas des entreprises d’insertion.
Enfin, l’endettement doit être compris comme la dette à plus d’un an des entreprises et non comme l’endettement global au 31 décembre qui intégrerait les dettes sociales à court terme forcément élevées dans un secteur à forte concentration de main-d’œuvre.
L’ensemble des données ont été rassemblées dans un tableur que vous trouverez dans notre extranet (voir ici).
Notez que ce tableur permet une comparaison avec les chiffres 2021.
Les finances
Comme pressenti, l’arrêt des mesures de soutien a entrainé une brusque baisse de la rentabilité des différents types d’entreprises (commercial et associatif).
Les ALE qui s’en sortaient encore en 2021 accusent des pertes cumulées d’un million cinq cent mille euros !
Comme vous le lirez, un mouvement d’absorption voit les ALE qui en sont capables intégrer les activités des sections TS souvent plus modestes qui ne savent plus faire face à leurs obligations.
La situation n’est pas plus rose pour les autres acteurs puisque les entreprises commerciales accusent des pertes cumulées pour trois cent nonante mille euros.
Tandis que les EI, qui bénéficient pourtant de subsides spécifiques complémentaires en plus de pouvoir profiter d’avantages propres au secteur commercial auquel le monde associatif ne peut prétendre (les chèques formation p.ex.), accusent des pertes cumulées de septante-huit mille euros.
Notons tout de même que, dans le cas des entreprises commerciales pures, l’échantillon est étroit — seulement sept acteurs — et que le gros de la perte provient d’une seule entreprise.
Au niveau des EI, une grande hétérogénéité règne puisque douze d’entre elles sont en perte sur les vingt-six sélectionnées.
Lorsqu’on examine la trésorerie, on constate que celle des ALE passe de trente et un millions en 2021 à vingt-six millions en 2022. Comme, je le signalais la longue saga de l’opposition à la ponction touche à sa fin au détriment des ALE.
La trésorerie des entreprises commerciales reste stable tandis que les EI voient la leur légèrement augmenter.
L’emploi
On constate une diminution de l’emploi en titre-service dans les ALE et les EI et une augmentation pour les entreprises commerciales pures du panel.
Pour ce dernier acteur, en l’absence de données plus complètes, il est illusoire d’en tirer des enseignements définitifs. Cette hausse peut aussi bien être le fruit de la concentration en cours que de canaux de recrutement plus performant.
Il est en revanche évident que les ALE décrochent avec une diminution de 226 salariés en un an.
L’encadrement diminue également, mais moins vite (voir tableau).
Par contre, et cela devient moins justifiable, les heures de formation renseignées par les ALE s’effondrent passant de 4900 à 2700 heures ou une moyenne de 1,75 heure de formation par ETP !
De deux choses l’une, soit les ALE continuent à ne pas renseigner les heures qu’elles octroient, soit elles ne respectent pas la législation. Dans les deux cas, elles se préparent des lendemains qui déchantent.
En conclusion.
Les ALE ont cumulé les défis depuis plus de vingt ans. Leur trésorerie a été largement ponctionnée en 2012. Elles doivent assumer une partie significative des salaires des fonctionnaires « détachés » par la Région. Comme les autres ASBL, elles ne bénéficient pas des chèques formations et n’ont que peu de possibilités de recourir à l’emprunt. Ces handicaps en font un acteur fragile.
Cependant, leur résilience passée devrait retenir un peu plus l’attention sur l’effondrement finalement rapide d’une mesure de création d’emploi qui ne crée plus rien.
Car, à l’heure où un nouveau conflit social se dessine, le secteur des titres-services est confronté au triple défi de faire face à :
- La diminution des candidatures ;
- Au vieillissement des salarié.es ;
- L’augmentation des charges (fixes et variables) ;
Au fond, il y a une perte de sens de son action dans un marché de l’emploi qui semble en forme et offre des perspectives plus valorisantes.
Il appartient aux pouvoirs publics de se pencher sur cette situation et, finalement, de s’interroger sur son avenir, car, et c’est là un paradoxe, une partie du public ainsi activé demeure éloignés de l’emploi et nécessiterait des moyens plus conséquents pour espérer s’adapter au monde du travail tel qu’il évolue en ce moment.
À la PAW nous sommes convaincus que les ALE demeurent un outil local souple pour relever ce dernier défi, mais il conviendrait de faire évoluer la mesure pour nous permettre de poursuivre notre mission sociale dans des conditions acceptables.
Jean-Michel Lovinfosse
Co-président PAW